Interview du Docteur Sylvain Coigneau, Fondateur d’Urgens

Refuser la résignation, choisir l’action.

À 45 ans, le Dr Sylvain Coigneau exerce dans la Vienne, en zone sous-dotée.

Tandis que nombre de praticiens désertent les territoires ruraux, lui a choisi d’y ancrer son engagement.

C’est là qu’est né Urgens : de la conviction que l’accès aux soins dentaires ne doit pas être un privilège, mais un droit fondamental.

Après vingt années de pratique urbaine, il a décidé de réinventer son exercice autour d’un principe simple : replacer la mission de santé publique au cœur du métier. Son cabinet pilote est aujourd’hui le socle du réseau Urgens, une structure en création qui vise à réconcilier efficacité, solidarité et sens du soin.

Urgens porte une vision concrète du collectif : des protocoles clairs, une organisation fluide, une approche humaine du soin dentaire d’urgence. Ce modèle naissant entend offrir aux jeunes praticiens une voie d’exercice différente — plus responsable, plus utile, plus alignée avec la réalité du terrain, et soutenue par un modèle économique vertueux, rendu possible par les avantages fiscaux des zones de revitalisation rurale (ZRR).

Pour le Dr Coigneau, chaque urgence traitée est une preuve que le système peut se transformer, à condition de cesser d’attendre qu’il le fasse seul.

  • Qu’est-ce qui t’a le plus agacé dans le système avant de créer Urgens ?

Le manque d’engagement de la part de certains confrères sur ce qu’implique être un professionnel de santé. La santé publique manque d’effectif et de moyen, le secteur privé doit seconder ça, on est tous au service de la santé d’autrui, ça m’agace qu’on ne puisse pas prendre ça au sérieux. Quand le gouvernement ne prend pas de mesures c’est aux soignants de se mobiliser et de réfléchir à des solutions efficaces qui répondre aux enjeux de santé publiques.

  • Tu te souviens du moment précis où tu t’es dit “ok, j’y vais” ?

En réalité j’ai toujours eu une appétence pour l’urgence, et une forme de rejet de la monotonie. C’est en période post-covid que c’est devenu évident : je travaillais dans un cabinet ultra rentable qui ne cherchait qu’à l’être toujours plus… les mois passants j’ai ressenti un malaise, un écœurement, je n’étais pas fier de moi, je ne souhaitais pas ressembler à ces confrères, jamais. J’ai compris qu’il était temps de m’orienter vers ce qui me donne du sens.

  • Si tu n’avais pas créé Urgens, que ferais-tu aujourd’hui ?

Je continuerai à fonctionner sur le modèle d’Urgens mais en solo, sans lui avoir créer d’identité. Bon, je peux avouer que j’ai déjà failli me lancer dans l’oléiculture, l’idée de relever le défi du travail de la terre, d’en palper un produit fini ça m’a trotté sérieusement, mais mes engagements de professionnel de santé ont pris le dessus.

  • Quelles inquiétudes te partagent les jeunes praticiens avec qui tu discutes ?

On me demande souvent si la gestion du planning et l’organisation du cabinet, tant sur l’humain que l’administratif sont si épineuses. Je reste honnête en leur disant que oui c’est pénible, mais surtout parce qu’on n’y a pas été formé. Comment doit-on travailler ?  Qu’est-on capable de faire ? Et dans quel temps imparti ? Si on sait répondre à ces trois questions l’organisation ne sera pas si désagréable, les jeunes bosseront moins sous pression.

  • Quelle est la plus grande illusion des étudiants sur l’installation ?

Il y a deux, assez évidentes : 1. Penser qu’on peut tout traiter seul 2. Penser qu’on peut faire mieux que les autres ; avec le recul je constate que savoir bien s’entourer et faire preuve d’humilité sont des clés qui évitent à de nombreux jeunes installés un douloureux désenchantement.

  • Le premier conseil que tu donnerais à quelqu’un qui sort de fac et hésite à s’installer ?

Fais toi confiance, tu es capable.

Entoure-toi bien et ça va le faire.

N’oublie jamais de prendre du temps pour toi, accorde-toi autant de bienveillance, si ce n’est plus, qu’à quiconque.

  • La désertification médicale, un enjeu mal considéré ?

Le problème est plus global : c ’est tout le monde rural qui est délaissé : éducation, santé, culture, il n’est pas bankable alors qu’humainement on y trouve tout autant de personnes profondes et passionnantes que dans les grandes villes. L’enjeu est surtout financier, comme bien souvent.

  • Dans un réseau, qu’est-ce qui compte plus selon toi ?

La solidarité avant tout et un cumul certain de compétences. C’est aussi et surtout l’avantage inestimable de conserver sa liberté tout en étant soutenu par une équipe loyale.

  • Qu’est-ce qu’on trouve chez Urgens qu’on ne trouvera jamais dans un réseau traditionnel de dentistes ?

De l’humain à 100%, du vrai ! Une écoute active et la capacité de réussir sans que ça se jauge par la seule rentabilité financière de son cabinet. Notre modèle économique est performant, pour autant ce n’est pas ce que nous prônons.

  • A quel moment tu t’es dit “ok, le réseau, c’est réellement une force” ?

Mon isolement en zone rurale m’a fait comprendre que pour faire bouger les choses, je devais partager mes atouts, les démultiplier. Car clairement seul on ne peut pas modifier le système, alors qu’un réseau peut offrir un nouveau maillage dans l’accès aux soins.

  • Si Urgens était une réponse à une injustice, ce serait laquelle ?

Celle de l’inégalité à l’accès aux soins dentaires en France !  Quand on sait qu’1 personne sur 3 vit dans un désert médical, doit faire 1h30 de trajet (voir plus) après avoir attendu 8 mois un rdv, y a que moi que ça choque ? L’urgence dentaire est diabolisée dès la fac, on en fait une épine dans le talon de chaque futur chirurgien or c’est 90% de la réalité de notre métier, le reste c’est de la prévention, du contrôle.

  • Qu’est-ce l’action Urgens prouve dans l’écosystème chirurgie orale ?

Une carence certaine dans l’organisation notamment au regard de la sur-spécialisation dans le métier, notre action c’est de répondre à la faille que ça a créé. Urgens c’est du soin immédiat car c’est ce qui manque le plus ; notre profession a commencé à virer vers des tas de spécialisations au début des 2000, ça c’est qui accéléré ces dernières années : on ne veut plus faire du tout-venant. Il y a une scission entre les chirurgiens omnipraticiens et les spécialistes, désormais très nombreux. La conséquence retombe sur les patients qui peinent à trouver un praticien, leur suivi devient irrégulier, voir mauvais.

  • On dit souvent que les fondateurs projettent une partie d’eux-mêmes dans leur boîte : c’est quoi, ta part d’Urgens ?

Le besoin de stimulation intellectuelle et technique ça c’est moi, et c’est l’essence des urgences dentaires côté praticien. Lutter contre la pénurie de praticien en zone rurale c’est un engagement perso et c’est devenu mon crédo pro très naturellement. Quand je me suis inscrit au conseil de l’ordre dans la Vienne, 6 dentistes dévissaient leur plaque alors que je m’installais, ça m’a secoué et ça aussi c’est ma part d’Urgens, ne pas faire l’autruche.

  • Pourquoi maintenant cette volonté de transmettre ?

Je l’ai toujours eu en réalité, au début de mes études, j’ai adoré être moniteur de TP ; une fois thésé j’étais chargé d’enseignement, ça doit être dans mon ADN ! Même sur mes temps de loisirs je pousse le truc en étant coach des poussins au foot.

  • Si tu pouvais parler au toi de 25 ans, que lui dirais-tu ? ? Va plus vite, lance-toi tout de suite !

J’aurais dû ouvrir un cabinet spécialisé dans les soins immédiats à mes débuts, j’en étais capable.

  • Comment tu reconnais un “futur affilié Urgens” quand tu le croises ?

Quand j’arrive à faire ressortir sa fibre « professionnel de santé » à ce moment je vois que l’étincelle scintille dans son regard par pure vocation.

  • C’est quoi pour toi, le vrai luxe d’un chirurgien-dentiste, en 2025 ?

Avoir des échanges humains avec ses patients, un temps de paroles authentiques qui se conclue par un merci sincère après les soins.

  • Quels ont été tes mentors ou personnalités inspirantes dans ta carrière ?

J’ai eu un prof extraordinaire de ma 3e à ma 6e année d’odontologie à Nantes, il était mon mentor oui, toujours avisé d’excellents conseils dont un que j’applique depuis : « Si tu veux devenir un bon professionnel de santé, soigne chaque patient comme si c’était toi à sa place, avec tous les égards qu’il mérite : accepterais-tu d’être mal ou pas soigné ? »

Propos recueillis par Fanette Publishing.